Année 2011 – En me replongeant dans mes carnets, j’ai retrouvé ces six titres qui m’ont profondément marquée. Je vous les livre et vous souhaite tout l’enthousiasme que j’ai pu ressentir à leur lecture.






Maram al-Masri nous a fait l’honneur de venir au Lycée Les Vergers, rencontrer les élèves des terminales Bac Pro, à l’initiative de mon amie Mauricette Carrée, professeure d’ESC (Éducation socio-culturelle). Cela a été une rencontre passionnante et demeure un souvenir très fort.
Elle va nue la liberté
(Maram al-Masri -éditions Bruno Doucey)
Les enfants de la liberté
ne s’habillent pas en Petit Bateau.
Leur peau s’habitue vite à une étoffe rêche.
Les enfants de la liberté
ont des vêtements usés
et des chaussures trop grandes pour leurs pieds.
Souvent ils enfilent l’air nu ou la terre.
*
Les enfants de la liberté
ne connaissant pas le goût de la banane
ni de la fraise.
Ils mangent du pain sec
trempé dans l’eau de la patience.
*
Le soir,
les enfants de la liberté
ne prennent pas de bain,
ils ne soufflent pas dans les bulles de savon.
Ils jouent avec des pneus, des cailloux
et les débris
des bombes.
*
Avant de dormir,
les enfants de la liberté
ne se brossent pas les dents.
Ils n’attendent pas les histoires magiques
de prince et de princesse.
*
Ils écoutent le bruit de la peur et du froid.
Sur les trottoirs de la rue,
devant les portes de leur maison détruite,
dans les camps des pays voisins
ou
dans les tombes.
*
Les enfants de la liberté
attendent comme
tous les enfants du monde
le retour de leur mère.
Passage de l’ombre
Didier Jourdren
Ce n’était rien
_ le bas d’un jardin
un moment ensoleillé.
*
Moins encore :
l’ombre d’un arbre.
*
ce rien est mon guide
une ombre me guide.
*
Le cognassier
son ombre sur le vieux mur
la porte de bois
sous l’auvent très étroit
*
de l’autre côté
du passage
entre maisons et jardins
le mur voisin
couronné de vigne
*
un seul lieu soudain
rassemblé dans la lumière
*
Un tissage dans l’air
de feuilles d’ombre
*
le travail de mains légères
sous l’auvent
défait en hâte
dans la tombée du jour.
*
On aimerait tant que l’ombre
soit liée à la lumière
qu’elle soit sa trame
ou sa source
de pollen
ou, comme des feuilles de saule
l’envers miroitant.
Le nouveau recueil de poésie de Mérédith Le Dez, écrivaine et poète, vient de paraître aux éditions Le Manteau et la Lyre. Il faut vous empresser d’acheter ce recueil qui nous parle d’amour dans toutes ses contradictions, ses emballements, ses défaites, ses espoirs. Pour preuve, le poème X page 29 comme une délicieuse tentation.
Attention, la mise en page étant très difficile à rendre sur ce blog, j’ai choisi d’aligner chaque strophe tantôt à gauche tantôt à droite pour m’approcher le plus possible de ce qui est publié dans le recueil.
Il est vrai que l’homme
cousu à ma peau
avec qui je marche
sans l’avoir choisi
est un apiculteur
aux yeux sarrazins
les mains prêtes à plonger
dans les pieds d’alouette
où boivent les abeilles
pour les subjuguer
Elles suivent
noires et dorées
son chapeau
de gardeur de troupeau
sans bâton
et je ne sais plus qui je suis
de l’homme de l’abeille
ou de l’agneau
libre et docile
Nous n’avons rien à nous dire
l’homme et moi
nous savons tout
ce qu’il suffit de connaître
l’un de l’autre
Il y a entre nous la phrase
comme un sésame
une pièce dans la bouche
au moment de passer
de vie à trépas
Sonnante et trébuchante
elle a le goût du sang
et de la poussière
elle rutile
familièrement
ainsi la tache
à la poitrine
du rouge-gorge
qui m’est profonde joie.
Un poème d’un auteur italien, traduit par Jean-Baptiste Para, extrait d’une édition bilingue chez Cheyne éditeur, collection D’une voix l’autre.
Restes du jour
Lucio Mariani
Cap Finisterre
C’est dans une grande souffrance que finissent les terres d’Occident.
Elles se redressent et se soulèvent pour affronter l’insulte de l’océan,
comme si dans cette surrection du rivage balayé par la détresse de tous les vents
elles voulaient confier à l’eau une mission, testament de l’immobilité
rédigé en essaim d’îles et grumeaux de sang blanc,
essence devenue pierre, immergée avec circonspection, archipels disposés en dolosives corolles
de paupières qui se montrent et s’effacent au gré des flots, avant-postes périlleux
pour qui s’en revient dans la nuit noire sans songer aux vengeances posthumes de la terre,
blocs épars qui ressemblent à d’accablantes lettres de malvenue et d’adieu,
infâmes munitions de granit haletant dans la fournaise des remous,
pierraille acharnée, entrée en lice à coup d’embûches pour arracher aux eaux brutales
un butin de tyrannie et de fureur.
*
Sur ce bord extrême de Galice, le phare hurle mais ne dispense aucune
exhortation. Il écarte seulement la brume de ses cris de douleur rauques et pleins,
pareils à des vrombissements profonds, discontinus, qui s’affaissent
dans le râle d’un monde conscient de son extinction.
Ici cède toute parole.
Un choix en hommage à mon ami poète et éditeur, Yves Prié, fondateur des éditions Folle Avoine, qui m’a fait découvrir le grand poète Guy Lévis Mano, ainsi que la maison d’édition que celui-ci avait créée.
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Extrait de « Le dedans et le dehors »
Je vous parle des murs
Si tu parles aux murs, fais attention, je te préviens fais attention. Les murs sont comme ces plantes bizarres qui semblent fermées et quiètes. Mais ce n’est pas vrai. Un moment ou l’autre, elles s’ouvrent subrepticement – c’est toujours au contact d’une proie ingénue – et elles se referment vous ayant happé irrémédiablement, et assimilé. Et vous êtes encore là à les regarder comme si rien ne s’était passé. Je vous en parle – des murs – et vous mets en garde, parce que j’en sais beaucoup sur leur comportement, moi qui suis ennemi déclaré des murs, et qui leur tiens des discours offensants, leur faisant entendre qu’ils ne sont pas de la race des portes et des fenêtres qui ont deux richesses : le dedans et le dehors. Les murs m’ont inoculé l’obsession du dehors.
Une trilogie absolument fascinante. À la lire, dans les magnifiques traductions de Catherine Eyjólfsson, on comprend aisément pourquoi Gyrđir Eliasson est reconnu comme un des écrivains islandais les plus importants.
Trois romans, trois Arts majeurs que sont la littérature, la peinture et la musique, trois hommes qui s’y consacrent avec acharnement, mais aussi doute, désenchantement, découragement, et enfin trois lieux au coeur de la nature islandaise où nos héros ont tout le loisir de s’isoler, se réfugier, s’abstraire.
“Au bord de la Sandá” est le premier de la trilogie. On y découvre un homme qui s’est installé tout près de la Sandá, une rivière glaciaire, bordée par une forêt aux confins de l’Islande. Il est artiste peintre, a longtemps vécu de son art, mais semble depuis quelques temps incapable de continuer dans la veine qui était la sienne. Réfugié un été dans ses caravanes, l’une pour vivre, l’autre pour peindre, il se tient absolument éloigné de tous les autres estivants qui l’entourent et se réjouit de l’arrivée de l’automne qui lui garantira la solitude. Notre artiste est venu là pour se chercher lui-même au coeur de sa création, se mesurer à ses réflexions, méditer sur sa vie.
“La fenêtre au sud” est le second tome. Cette fois, nous découvrons un romancier, que son éditeur laisse tranquille dans l’attente d’un nouveau roman. Notre héros s’est réfugié au bord de la mer, dans un village de maisons noires qui ne sont fréquentées là encore que l’été. Pour lui aussi, fréquenter les autres lui est insupportable. Il est à un tournant de sa carrière, son nouveau roman piétine, sa machine à écrire fétiche, une vieille Olivetti, lui donne du fil à retordre et l’encre du ruban disparaît au point que l’écrivain tapera bientôt blanc sur blanc. Métaphore de l’épuisement de la création. La nature que l’homme observe par la fenêtre au sud, la mer, les arbres, les saisons qui passent durant une année entière, renforce la solitude et la méditation désenchantée de l’auteur.
Enfin, le troisième roman de la trilogie, “Requiem”, est peut-être le plus optimiste, bien que faisant la part belle à la déréliction de la carrière du héros qui est un publiciste complètement désabusé. Il s’est réfugié dans la maison de l’oncle de sa femme, dans les territoires isolés de l’Est de l’Islande, au pied des montagnes. Cette fois c’est de musique qu’il s’agit. Notre héros est un hypersensible qui entend en permanence de la musique en toute chose. Et Jonas (car on connaît son prénom dans ce dernier opus) est obsédé par le désir de composer ce que les éléments du quotidien lui dictent sous forme de notes. Il écrit en permanence des fragments musicaux dans son précieux carnet. Là encore le héros s’éloigne lentement mais sûrement de toute vie sociale, obsédé par le désir de composer sans toutefois se reconnaître comme compositeur. La nature l’inspire, que ce soit dans le jardin qui entoure la maison ou le parc où il se promène parfois, et l’été renforce les sollicitations sonores qu’il s’efforce de retranscrire. Pourtant cette fois encore, un découragement s’insinue progressivement.
Voilà donc trois livres qui peuvent sembler bien désenchantés et pourtant on ne peut pas les lâcher, au point de les dévorer l’un après l’autre, pour s’immerger dans une approche de la création, une volonté de privilégier la nature et la solitude, pour mieux se détacher des contingences matérielles et des sollicitations de l’actualité, pour apprendre peut-être à méditer, réfléchir, penser.
Un choix en hommage à René Rougerie et Olivier Rougerie, le père ayant fondé les éditions Rougerie, et le fils ayant pris la succession. Tous deux m’ont fait l’honneur de venir me rencontrer à la librairie tournez lapage, que j’ai créée à Combourg en 1997.
Une langue sauvage
L’âme au creux des mains
Voici
dans l’hiver le printemps
au creux des contingences
la mesure d’emblée parfaite
*
Le matin se lève
sous une voûte de transparence
toute chose heureuse de prendre part au jour
trouve d’instinct sa place dans la lumière
*
Les notes reposent claire sur la portée
et les oiseaux sont prêts
*
Plus haut que la prière
le chant intercède
une fenêtre s’ouvre
l’azur est là
au piano même
*
Qui joue
à la vie à la mort
séparées seulement
par une musique mitoyenne
*
La lumière sourit
d’avoir enfreint l’hiver