“Prête à tout”

Ils vont tous s’exprimer à leur tour, tous les personnages de ce roman glaçant de Joyce Maynard et nous emporter dans des conjectures sans cesse bouleversées. Inspiré d’une histoire vraie, l’autrice a imaginé les motivations de cette jeune femme, belle, mariée, à un homme qui l’adule et qui sera accusée du meurtre de son mari.

Elle s’appelle Suzanne, et dès sa naissance elle fait l’objet de l’admiration de ses parents auprès desquels elle évince sa sœur aînée, tant elle est volontaire, jolie, déterminée, et capable d’un aplomb peu commun. Depuis toute petite, elle rêve de devenir une vedette de la télévision, une animatrice à la renommée nationale. Elle va ainsi mettre toute sa volonté au service de son ambition et se fabriquer une personnalité sans défaut, se forgeant une plastique parfaite, apprenant à la faculté toutes les ficelles de la communication, se mariant avec un jeune homme éberlué qu’une telle femme tombe amoureuse de lui.

Suzanne va postuler pour commencer sa carrière dans une petite chaîne locale, où elle réussira à convaincre son patron de lui confier la séquence météo dans un premier temps. Tout irait pour le mieux si Suzanne savait se montrer patiente et décidait d’apprendre le métier plutôt que se persuader qu’elle est l’égale des plus grandes et mérite une situation beaucoup plus glorieuse.

Joyce Maynard signe ici un roman choral, dans lequel tous les protagonistes de cette sombre histoire s’expriment tour à tour, permettant au lecteur de progresser dans les arcanes de cette chronique d’une mort annoncée. Que ce soient les parents de Suzanne, ses beaux-parents, les jeunes gens qu’elle a convaincus de participer à un reportage sur la jeunesse de province, censé la projeter sur le devant de la scène en tant que reporter, que ce soient les autres habitants de sa petite ville qui seront interrogés par la police au sujet de la mort du mari, que ce soient les policiers eux-mêmes, chaque témoignage, y compris celui de Suzanne, conduit le lecteur à s’interroger, douter, se laisser gagner par un malaise latent. Quelle est donc la motivation profonde de Suzanne ? Est-elle vraiment prête à tout ?

Il s’agit ici d’un roman noir, sur le meurtre et l’obsession, une vision de l’Amérique profonde, où les clivages sociaux font florès, où l’omniprésence de la télévision en 1993 alors qu’Internet n’existe pas encore interpelle tellement qu’on imagine la transposition d’une telle histoire à l’époque des réseaux sociaux. Joyce Maynard nous offre un tableau saisissant, formidablement construit, un roman passionnant, superbement traduit par Jean Esch.

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